Le cardinal Barbarin a été condamné le 7 mars 2019 par le tribunal correctionnel de Lyon à 6 mois de prison avec sursis pour non-dénonciation d'abus sexuels sur mineurs.

Cette condamnation est hautement condamnable.

1. Le délit de non-dénonciation est une infraction continue et non instantanée.

Le tribunal a considéré que le délit de l'article 434-3 était une infraction instantanée. Il a ainsi condamné le cardinal sur la base des informations fournies par Alexandre Hezez en juillet 2014, les autres plus anciennes étant prescrites. Or, même si une telle jurisprudence existait bien alors, le délit de non-dénonciation est évidemment une infraction continue. Car à moins d'être subitement devenu amnésique, "quiconque ayant eu connaissance" de faits continue d'en avoir connaissance, et celui qui ne dénonce pas reste en état d'infraction aussi longtemps qu'il ne se décide pas à dénoncer. Le délai de prescription aurait donc dû courir, comme pour toute infraction continue, à compter du moment où l'infraction devant être dénoncée a pris fin, donc au moment où les faits à dénoncer furent eux-mêmes prescrits.

Ainsi le tribunal a-t-il condamné le cardinal sur la base d'un état du droit aberrant, et d'ailleurs éphémère puisque la loi du 3 août 2018 y a mis fin en corrigeant l'article 434-3 du code pénal, de sorte que le délit de non-dénonciation ne peut plus désormais être considéré autrement que comme une infraction continue.

2. Obligation de dénoncer et obligation de se plaindre.

En l’état actuel du droit, la dénonciation est obligatoire et la plainte facultative. On peut concevoir que la victime soit libre de ne pas se plaindre lorsqu'elle est seule en cause, alors que dans la dénonciation, un tiers est en cause, à l'égard duquel le dénonciateur a une responsabilité. En outre, d’autres victimes inconnues peuvent exister. Le dénonciateur doit agir à l'égard de tous ces tiers, connus ou inconnus, y compris contre leur gré, car dans la procédure inquisitoire le trouble à l’ordre public appelle réparation, même en l’absence de plainte.

Mais si l'on prend en compte l'existence de ces victimes inconnues et le risque de récidive, on voit bien que la victime n’est, en réalité, pas seule en cause. Par conséquent la victime qui renonce à se plaindre laisse perdurer le risque et l'impunité de l'infracteur, tout autant que le dénonciateur qui ne dénonce pas. Un parallélisme devrait donc exister en droit, entre dénoncer et se plaindre. La plainte et la dénonciation devraient être parallèlement facultatives ou obligatoires, sous réserve bien sûr que la victime soit en état de se plaindre (1). Faute de quoi il est vain de prétendre avoir érigé un droit protecteur. Le cardinal a donc en outre été condamné sur la base d'un droit incohérent.

3. L'absurdité de la dénonciation de faits prescrits.

La dénonciation a pour objet de permettre la poursuite de l'infracteur en l'absence de plainte. Si ces poursuites sont rendues impossibles par la prescription, la dénonciation n'a aucun sens. Cet argument est de simple logique. La réaction du cardinal conseillant à Alexandre Hezez de rechercher des faits non prescrits pour pouvoir porter plainte était de pur bon sens. Nul ne pouvait imaginer l'interprétation insensée de l'article 434-3 (2) infligée par le tribunal.

Prétendre que, les faits connus étant prescrits, l’obligation de dénoncer se fonderait en outre sur la possibilité de découvrir d'autres faits encore inconnus est tout autant aberrant. Cela consisterait en effet à devoir dénoncer des faits purement imaginaires. Aucune dénonciation ne saurait se fonder sur des soupçons non étayés.

Dire enfin que la dénonciation de faits prescrits resterait encore nécessaire pour prévenir une récidive, ou agir sur l'opinion, n’a pas de sens non plus, car ce n'est pas là rendre la justice. Le tribunal sort ici de son rôle. La justice n’a pas pour fonction de mettre en œuvre une politique de prévention, pas plus que d'agir sur l'opinion. Dans ce jugement, le rapport de la justice à l'opinion est faussé à plus d'un titre.

4. Pas de délit sans l'intention de le commettre.

Le tribunal aurait dû apporter la démonstration que celui qui n’a pas dénoncé avait l'intention de dissimuler des faits pour protéger l'infracteur. En l’espèce, le cardinal n’a cessé de dire qu'il n’avait jamais eu l’intention de dissimuler quoi que ce soit, et le procès n’a en rien apporté la preuve du contraire. En affirmant que le cardinal « a fait le choix en conscience de ne pas transmettre les faits à la justice », le juge a prétendu sonder les reins et les cœurs. Il a présumé la culpabilité.

Conclusion.

Selon le tribunal, « en voulant éviter le scandale causé par les faits d'abus sexuels commis par un prêtre, Philippe Barbarin a préféré prendre le risque d'empêcher la découverte de très nombreuses victimes d'abus sexuels par la justice, et d'interdire l'expression de leur douleur. » Cette affirmation purement gratuite n'est étayée sur aucune preuve.

Ce procès est un nouvel avatar de la confusion entre droit et morale. La fonction du droit n'est que de rendre possible la vie en société. La morale désigne le bien et le mal. Les deux ordres sont liés mais non confondus. En condamnant, alors que sa seule mission était de rendre à chacun ce qui lui revient, le tribunal fait payer à Barbarin les erreurs de Decourtray. En se faisant moralisateur, dans un contexte sociétal par ailleurs marqué par un relativisme moral avancé, le juge s'attribue indûment une « fonction non-utilitariste » de moralisation de la société. En faisant tomber une tête calottée, il veut faire un exemple ; en frappant l'Église catholique, faire croire que César est seul juge du bien et du mal. Mais le procès pénal n’a pas pour objet de permettre à une victime de se venger, ni de se reconstruire, ni même d'exprimer sa douleur. Il a pour seul objet de sanctionner un trouble à l’ordre public.

La culpabilité de Preynat ne fait aucun doute, mais c’est la prescription, et non Barbarin, qui a pour l'instant empêché son procès. Malheureusement, les faits sont prescrits. Oui malheureusement, et non grâce à Dieu. On doit le déplorer en effet, et déplorer que les députés aient refusé en 2007 de modifier la loi afin de rendre ces abus imprescriptibles, (3). car ils devraient l'être en effet, tant dans le droit pénal que dans le droit canon, en raison de l’amnésie traumatique des victimes (4).

La condamnation du 7 mars 2019, rendue en l'absence de toute réquisition du parquet, est injuste parce qu’elle est fondée sur un droit bancal, sur des erreurs de droit, parce qu’elle est prise sous la pression de l'opinion et qu’elle manifeste la volonté du tribunal de faire la morale à l’Église en se payant un cardinal.

 

 

Notes

(1) Il n'est pas question ici des victimes fragiles, enfants ou personnes vulnérables, qui ne sont pas en mesure de saisir la justice.

(2) Article 434-3 du code pénal

(3) Proposition de loi de Marc Le Fur et Franck Gilard de 2007.

(4) Dans le droit canon la prescription, actuellement de 20 ans après la majorité de la victime, peut être supprimée sur demande au cas par cas par la congrégation pour la doctrine de la foi (cf. de delictis gravioribus - article 7).

 

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