« Mais alors, dirent-ils, si telle est la condition de l'homme avec sa femme, mieux vaut encore ne pas se marier. » (Mt, 19, 10)

 

Tristan et Iseut

 

On entend dire partout que les divorcés remariés peuvent dans certains cas accéder aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie. Il n'en faut pas plus pour mettre en ébullition blogueurs et journalistes toujours à l'affût d'un changement de la doctrine de l’Église. Dans certains cas ? Mais quels cas ? Ce pape jésuite est-il un casuiste ? Et d'ailleurs, n'avons-nous pas tous droit à la miséricorde ?

1. Dans certains cas ?

« Si l’on en vient à reconnaître que, dans un cas concret, il y a des limitations qui atténuent la responsabilité, [...] Amoris Lætitia ouvre la possibilité d’accéder aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie. » Ce propos, tenu par les évêques de Buenos Aires et validé par le pape, ferait de lui le fossoyeur de 2000 ans de christianisme. C'est le retour en force du libéralisme condamné par les papes du XIXème siècle, bref, la ruine de la morale catholique.

Aux divorcés remariés est proposé un discernement au cas par cas. On serait bel et bien dans la casuistique si le pape avait dressé un catalogue des situations concrètes dans lesquelles l'admission aux sacrements était possible. Mais il n'en est rien. « Ce qui fait partie d’un discernement pratique face à une situation particulière, dit-il, ne peut être élevé à la catégorie d’une norme. Cela non seulement donnerait lieu à une casuistique insupportable, mais mettrait en danger les valeurs qui doivent être soigneusement préservées » (AL 304).

Le pape a validé le principe d'un examen au cas par cas. Il n'y a là rien de contraire à la tradition, ainsi que Mgr Aillet l'a fort bien expliqué, n'en déplaise aux esprits chagrins qui veulent voir partout des ruptures et par qui le scandale arrive.

Dans leur lettre adressée au pape le 19 septembre 2016, les quatre cardinaux rappellent que, pour recevoir l'absolution, les divorcés remariés doivent s'abstenir des actes réservés aux époux. « Dans le sacrement de la pénitence, la réconciliation — qui ouvrirait la voie au sacrement eucharistique — ne peut être accordée qu'à ceux qui, repentis, sont sincèrement disposés à une forme de vie qui ne soit plus en contradiction avec l'indissolubilité du mariage. »[1]. Cette pénitence est réitérable en cas de rechute, car la probabilité d’une nouvelle chute ne nuit pas à l’authenticité de la résolution. [2]

Si le pape n'a pas répondu aux quatre cardinaux, c'est qu'il est d'accord avec eux sur le fond — qui ne dit mot consent — mais qu'il ne peut leur donner publiquement raison car ce serait admettre que le texte d'Amoris Laetitia ne se suffit pas à lui-même, qu'il nécessite des amendements, ce qui n'est pas envisageable s'agissant du texte conclusif du synode. C'est pourquoi les cardinaux, par égards pour le pape, n'auraient pas dû rendre leur lettre publique.

Quant à tous les scribes qui reprochent à Amoris Laetitia et au pape de cultiver la confusion et l'ambigüité, ils feraient mieux de nous guider vers la seule lecture possible de ce texte, celle qui procède d'une herméneutique de la continuité.

2. La miséricorde pour tous.

« Ce n’est pas le fait qui prouve le crime, mais le jugement. Les hommes voient le fait, mais Dieu voit les cœurs, et, seul, il est vrai juge. »[3]

« Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. » (1 samuel 16 7)

A l'autre extrémité on entend des revendications formulées dans des termes parfois fort vifs de la part de certains divorcés remariés, y compris dans des mouvements comme les équipes Reliance qui gravitent dans l'orbite des équipes Notre-Dame. Des ecclésiastiques ou théologiens de haut rang [4] apportent de l'eau au moulin, appelant de leur vœux un changement de la discipline des sacrements. Il en va, disent-ils, d'epieikeia, d'indulgence, bref de miséricorde.

Ces gens sont dans la confusion entre droit et morale. Comme toute collectivité humaine, l'Eglise a besoin de règles internes qui n'ont pour objet que de permettre son fonctionnement. Le droit canon et la discipline des sacrements appartiennent au champ du droit, ce sont des règles nécessaires à la vie en commun. Elles ne préjugent en rien de la miséricorde qui est d'abord un attribut divin, même si le prêtre s'en fait l'intermédiaire dans le sacrement de la confession et même s'il nous est demandé d'être miséricordieux comme notre Père est miséricordieux (Luc, 6,36). Les hommes voient les faits et leurs jugements sont imparfaits, quoique nécessaires. Seul Dieu voit les cœurs et seul il est vrai juge. La justice des hommes n'est pas la justice de Dieu.

On peut comprendre qu'il soit difficile pour certains ecclésiastiques de faire cette distinction car ils sont à la fois chargés de faire respecter la discipline et de dispenser le sacrement de pénitence, qui est par excellence le sacrement de la miséricorde. D'où un risque de confusion[5] faisant dire improprement à certains que le droit interne à l’Église catholique repose sur la miséricorde.

Passer outre la discipline au nom de la miséricorde revient à faire de celle-ci une norme juridique supérieure. Or, la miséricorde n'est pas un droit. Le prétendre serait tomber dans l'erreur de Baius[6], qui voyait dans la grâce une exigence légitime de la créature envers le Créateur.

Luther avait poussé cette logique à son terme avec le principe du salut par la foi seule. Peu importent nos œuvres et la manière dont nous vivons, le salut nous est dû dès lors que nous croyons. D'où la perte du sens de la confession et l'acceptation du divorce chez les protestants.

Conclusion

• Non le pape François n'a rien changé à la discipline des sacrements.
• Bien des divorcés remariés nous précèdent dans le royaume de Dieu (d'après Mt, 21, 31).
• Faire bon accueil aux pécheurs n'est pas leur donner le bon Dieu sans confession, ni l'absolution sans l'engagement de se convertir.

 

Notes

[1] Veritatis Splendor 84 ; Compendium 226 ; Sacramentum Caritatis 29

[2] ceci est rappelé dans Amoris Laetitia note 364.

[3] Le roman de Tristan et Iseut - version de Joseph Bédier

[4] par exemple le cardinal Kasper et le père Garrigues, dont je remarque au passage qu'ils ne sont pas juristes.

[5] Voir un exemple de cette confusion dans le commentaire de Jean-Yves Bouchaud à la fin de cet article rappelant la position de la congrégation pour la doctrine de la foi.

[6] Voir le chapitre 1 d'Augustinisme et théologie moderne d'Henri de Lubac.